Métiers du luxe : nouveaux codes, nouvelles attentes des recruteurs Le 03 juin 2019 Ils sont toujours aussi nombreux à rêver d’y faire carrière… Le luxe est l’un des secteurs qui attirent le plus de jeunes candidats. Des jeunes filles, bien sûr, attirées par la mode, la décoration, la maroquinerie, l’orfèvrerie… Mais aussi des garçons, eux aussi tentés par un emploi dans ces domaines. Il est vrai que les […] Ils sont toujours aussi nombreux à rêver d’y faire carrière… Le luxe est l’un des secteurs qui attirent le plus de jeunes candidats. Des jeunes filles, bien sûr, attirées par la mode, la décoration, la maroquinerie, l’orfèvrerie… Mais aussi des garçons, eux aussi tentés par un emploi dans ces domaines. Il est vrai que les perspectives sont encourageantes : selon le cabinet Bain, la croissance du secteur devrait se maintenir autour de 4 à 5 %. L’ennui, c’est que beaucoup d’étudiants ont une vision erronée du secteur, de la façon dont il fonctionne aujourd’hui et des attentes des recruteurs. Vision erronée sur au moins deux points – ce qui explique que les marques, en dépit de l’engouement qu’elles suscitent, ont du mal à recruter les profils qu’elles recherchent. Le luxe sans les paillettes D’abord, beaucoup de candidats potentiels s’imaginent travailler demain directement au côté des grands créateurs, de cette poignée d’artistes (designers, couturiers, artisans du luxe) qui font la une des journaux. Grosse erreur. Car la grande majorité des emplois proposés ne sont pas dans la création, mais dans la production, la distribution, la vente, la logistique… Il est vrai que cela fait sans doute moins rêver… Ajoutons que beaucoup, aussi, imaginent un univers de palaces et de réceptions, de cocktails et de paillettes, qui ne correspond pas à la réalité de l’immense majorité des postes. Chantal Fouqué, directrice de La Fabrique, école des métiers techniques de la mode et de la décoration, pilotée par la CCI de Paris-Ile-de-France. « Beaucoup de jeunes sont attirés par le côté « paillettes » des métiers de la mode, observe ainsi Chantal Fouqué, la directrice de « La Fabrique », école spécialisée dans les métiers techniques de la mode et de la décoration créée par la CCI de Paris-Ile-de-France. C’est une illusion. Même dans le marketing de la mode, on se heurte vite à un plafond de verre. Le bon choix de carrière, aujourd’hui, c’est le « retail » et la fabrication. Les maisons du luxe comme Chanel ou Saint-Laurent et les grandes marques d’habillement comme Agnès B ou Kenzo ont besoin de compétences pour encadrer la production. Elles recrutent pour des postes d’acheteur, de sourceur, de responsable qualité, de façonnier, de directeur de production… Tout un ensemble de métiers qui permettent de passer du prototype au magasin, et qui exigent des connaissances techniques. Des métiers où l’on travaille en liaison étroite avec la direction artistique – et que la plupart des jeunes ignorent. » Priorité à l’ »expérience client » Mais plus encore, les métiers du luxe ont beaucoup changé – et beaucoup de jeunes n’en ont pas assez pris conscience. Fini le temps du luxe un peu guindé et compassé. Aujourd’hui, c’est la dimension humaine qui prime dans la relation avec le client : il s’agit de lui offrir une « expérience » inoubliable, comme disent les professionnels. « Cette notion d’expérience client constitue désormais le coeur du métier du luxe », expliquait ainsi Sabrina Craunot, DRH de l’hôtel Shangri-La de Paris, il y a quelques semaines, à l’occasion d’un débat organisé par l’Institut des hautes études Glion. « Nous formons nos équipes à l’art de faire vivre une émotion à chacun de nos clients, poursuit Sabrina Craunot. A la limite, l’objectif d’acheter un produit est relégué au second plan : avant de chercher à vendre, il s’agit pour nos collaborateurs de s’intéresser à la personne du client, afin de créer avec elle une relation. » Bref, le luxe devient « expérientiel« . Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’Institut Glion lance à la rentrée prochaine un nouveau master entièrement consacré à cette problématique, en « Gestion du luxe et de l’expérience client ». Dans l’hôtellerie, notamment, cet enjeu est désormais central. Les équipes doivent se mobiliser pour que le client se sente accueilli comme la personne la plus importante du monde. « Nos clients ont parfois économisé longuement pour s’offrir une soirée dans un de nos restaurants, rappelle Sabrina Craunot. Pour certains d’entre eux, ce sera peut-être la seule fois de leur vie. Pour eux, il faut que l’expérience soit exceptionnelle. C’est la promesse que doivent tenir toutes les grandes maisons. Et l’exigence en la matière est d’autant plus élevée que le produit que l’on vend est plus cher. L’important, c’est ce qu’on est prêt à donner de soi. Contrairement à ce que croient beaucoup de jeunes, travailler dans le luxe, c’est très différent d’aimer le luxe ou d’être une « fashion victim ». « Notre secteur a beaucoup évolué, confirme Thibaut de la Rivière, directeur de Sup de Luxe (groupe Planeta), qui fêtera l’an prochain son trentième anniversaire et disposera à la rentrée prochaine de deux nouveaux campus parisiens, près de la tour Eiffel et à côté du pôle d’affaires de la Villette. Aujourd’hui, face aux changements qui affectent nos civilisations, les grandes maisons du luxe explorent de nouvelles voies : revalorisation du patrimoine, réaffirmation de l’identité, et surtout accompagnement du client. Les étudiants doivent savoir qu’on n’intègre pas le luxe comme un autre secteur : quelle que soit la fonction occupée, ce sont la personnalité du candidat, sa culture, ses valeurs et sa vision qui vont primer sur la technique et les diplômes. » Recruteurs recherchent personnalités Conséquence, les attentes des recruteurs ont changé. Le bagage technique, les compétences restent indispensables, certes ; mais elles ne suffisent pas. Pour réussir dans les métiers du luxe, il faut disposer d’un certain nombre d’aptitudes, de talents personnels – ce qu’on appelle des « soft skills » : ouverture aux autres, aptitude à communiquer avec le client, disponibilité… « Il faut entrer dans la psychologie des gens, ajoute Daniela Riccardi, PDG de la Maison Baccarat. Cela suppose une bonne dose d’« intelligence émotionnelle ». Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Pour certains candidats, cela peut même poser problème… » Pour Sabrina Craunot, l’authenticité est une autre qualité appréciée : « Il faut être capable de se comporter avec simplicité, de trouver le mot juste, souligne la DRH. Le vrai luxe, ce n’est pas le bling-bling – c’est même son contraire. Il faut de la sincérité dans les relations humaines. Il faut savoir se tenir à sa juste place, en évitant la familiarité. » Or ce « savoir-être » et ces aptitudes comportementales s’enseignent difficilement à l’école : même s’ils peuvent s’améliorer et se développer, ils sont avant tout une question d’attitude, voire d’élégance « naturelle ». Et c’est une aptitude, un talent que tout le monde ne possède pas. L’importance de la pratique et du « terrain » « De façon générale, la formation dispensée par les écoles de luxe et d’hôtellerie est de bonne qualité, elle prépare plutôt bien les élèves, estime Sabrina Craunot. Mais à mon avis, la dimension terrain, opérationnelle, est encore insuffisamment présente dans les programmes. L’apprentissage pratique, au contact du client, est très important. Pour progresser dans nos métiers, il faut avant tout se mettre au service du client, dès la formation. Les stages, par exemple, sont encore trop peu nombreux et trop courts. J’ajoute que nous avons un vrai problème avec les langues, en France, dans les écoles hôtelières. Nous avons des étudiants qui ne parlent pas assez bien anglais. Dans nos métiers, c’est indispensable. » Un point de vue que partage Daniela Riccardi : « Les candidats les mieux préparés sont ceux qui ont fait le plus d’expériences, relève-t-elle. Mais nous avons encore du mal à recruter des collaborateurs à l’aise avec les langues et avec les différences culturelles. » Source : Le monde Emploi Formation - Orientation Partager sur :